Claude Crozon, d'un autre monde
Quatrième de couverture: "1914. Appelés sous les drapeaux, les hommes de la famille Kergalin sont
arrachés à leur Bretagne natale. Ils reviendront blessés ou
traumatisés. Désormais, pour eux comme pour les femmes, qui ont dû
s'organiser en leur absence : "Rien ne sera plus comme avant..."
Vaste fresque familiale éclairant notre temps, 'D'un autre monde'
raconte l'épopée d'une famille dans le siècle. Emportés par le
grondement de l'Histoire, les Kergalin trouveront un point d'ancrage
dans leur grande maison.
Affrontant le fracas des guerres & les assauts de la modernité, héros ou lâches, tour à tour jouets & maîtres de leur destin, ces hommes & ces femmes nous touchent comme s'ils étaient les membres de notre propre famille."
Comment utiliser les mots
justes pour rendre justice à cette magnifique histoire qui nous est contée par
Claude Crozon ?
J’admets, les quarante
premières pages ont été difficiles, je trouvais l’écriture parfois trop
alambiquée, je ne comprenais pas qui était qui par à rapport à qui, j’avais des
difficultés à distinguer présent, passé et bonds dans le passé encore plus lointain
et puis… la magie opère, l’écriture devient plus fluide, on fait connaissance
avec les personnes, on apprend à les cerner, les parents : François et
Emilienne et leurs quatre enfants : Maxime, Etienne et Albert les jumeaux
et puis Madeleine. C’est ici que tout commence, à Kargalin en ces terres
bretonnes qui me font tant rêver ces derniers temps …
Le livre est découpé en cinq
parties, chacune retraçant une époque particulière, de la première guerre
mondiale à la montée du nationalisme en Allemagne, la seconde guerre mondiale,
puis l’après guerre jusqu’aux frasques de mai 68, les années 70-80 et enfin une
époque qui m’est plus proche les années 90-2000.
C’est donc à travers ce 20è
siècle que nous allons suivre cette famille Kergalin et leurs descendants,
toutes leurs histoires entremêlées, des guerres trop nombreuses des naissances
parfois inattendues, des séparations, des décès au fil des années.
Je me suis d’abord attachée
à ce Maxime, un peu différent, avec ses rêves d’adolescent brisé par l’appel à
la mobilisation. Puis les rôles se sont inversés, c’est Etienne qui gagne la
sympathie du lecteur, tout en retenue. Les Kergalin c’est une famille désunie
par la première guerre et réunie par la seconde. J’ai aimé avec eux, j’ai
tremblé avec eux et j’ai même parfois versé quelques larmes avec eux… L’histoire
de Madeleine m’a rendue admirative, puis celle de Pauline m’a touchée
personnellement, dans les rapports qu’elle entretient avec son père. Cette peur
au ventre qui ne la quitte pas en sa présence, j’y ai été parfois familière au
même âge.
Claude Crozon maîtrise sa
narration à la perfection. On se focalise sur l’histoire d’un personnage tout
en faisant avancer celle des autres, Maxime, Madeline puis Pauline. Elle nous
donne également des « témoignages » de membres de la famille sur leur
passé, leurs oncles, leurs cousines qui donnent à l’histoire un aspect encore
plus réaliste. J’ai par moment eu l’impression d’entendre toutes ces voix.
Ce livre parle donc d’une
famille et des liens qui l’unissent mais pas seulement, elle pose aussi la
question de l’identité bretonne, de la mobilisation des bretons pour les deux
guerres, de reconnaissance et d’identité, qu’elle soit bretonne, française,
juive ou allemande. La question de la langue régionale revient assez souvent
également. Elle évoque le travail de fourmi des résistants pendant la
collaboration, de l’injustice et de la violence gratuite où l’on pouvait être
fusillé pour un simple coup de téléphone. Elle effleure le problème de la
modernité et de l’exploitation des terres agricoles, de la médecine et de la
psychologie.
C’est un livre très riche tant en histoires qu’en Histoire et surtout en émotions ! Un véritable coup de cœur ! Je remercie sincèrement les Editions Robert Laffont et Blog-O-Book pour cette merveilleuse découverte.
Des extraits qui m’ont particulièrement
touchée :
« Comment la convaincre
de partager la certitude qui l’habitait désormais d’un avenir terrible pour
tous et plus terrible encore pour quelques uns ?
Comment lui faire admettre l’inconcevable
et avec quels mots lui dire qu’il s’était peu à peu accoutumé à se sentir
personnellement menacé parce que c’était logique, même si c’était absurde ? »
« Un amour pareil c’est
à se demander s’il faut le souhaiter : comment continuer à vivre quand l’un
des deux fait défection ? Qui veille sur ceux qui n’attendent plus ? »
« La guerre serait-elle
le remède à l’ennui de vivre des psychopathes qui nous gouvernent et dont le
seul génie consiste à nous entraîner dans leur folie, jusqu’à nous faire croire
qu’elle est la nôtre ? »
« Comment peut-on
survivre à ceux qui vous manquent tant ? Cécile a choisi de faire silence
sur cette épreuve quotidienne : « de quel droit faire porter à autrui
le fardeau qui t’appartient ? » »
« Nous sommes la
génération qui aura vécu au carrefour des plus grandes tueries et nous laissons
nos enfants face à l’atome, la plus terrible des menaces qu’ait connue l’humanité…
alors, je me demande bien quelle supériorité accorder à notre civilisation,
capable d’avoir inventée des systèmes philosophiques qui justifient l’esclavage
et qui a utilisé son savoir à des fins de destruction totale. Mais aussi,
comment respecter celles qui poussent le raffinement jusqu’à fabriquer des
guerriers non contents de tuer leurs ennemis, les découpent en rondelles ? »