Voilà que je referme Le temps des possibles et que je me dis
mais comment c’est déjà terminé ? Encore ! J’en veux encore !
Comme certaines l’auront
déjà compris j’aime beaucoup les années 1960 et ce livre fut donc pour moi un
vrai régal, une petite merveille 348 pages dont il va m’être difficile de
rendre compte. Je ferai donc ça plutôt de façon linéaire et surtout grâce à
certaines citations que j’ai relevées. Mais pour commencer un mot sur Suze
Rotolo. Issue d’une famille d’immigrés italiens communistes elle a grandit dans
le Queens et a rencontré Bob Dylan au début des années 1960. C’est ainsi qu’elle
s’est plongée dans l’univers folk qui régnait à Greenwich Village. Bob Dylan est
omniprésent dans le temps des possibles, c’est d’ailleurs d’après le titre d’un
de ses albums que le titre original a été choisi : A Freewheelin’ Time, a
mémoir of Greenwich in the Sixties. J’ai donc eu au début un peu peur que
cela finisse par m’ennuyer je ne suis pas tellement adepte des biographies.
Mais non finalement, Suze Rotolo tente de nous livrer son ressenti par rapport
à sa relation avec Bob Dylan, elle nous le dépeint telle qu’il était à l’époque
dans la sphère privée et dans la sphère publique avec une certaine admiration
mais aussi un soucis de vérité qui parfois nous livre un Bob Dylan
antipathique. C’est aussi l’occasion pour elle de nous parler de sa famille,
des Etats-Unis où il ne fait pas bon vivre étant communiste, de la montée de la
musique Folk, du mouvement pour les droits sociaux, de l’art, de ses
interrogations sur la place de la femme à l’heure où le féminisme n’était pas
encore d’actualité…Son écriture est fluide, plaisante à lire. On a simplement l’impression
de suivre le cheminement de ses pensées.
Elle annonce dès le début qu’elle
va nous livrer ses propres souvenirs d’une époque aujourd’hui révolue :
« J’ai rencontré Bob Dylan en 1961.
J’avais dix-sept ans et il en avait vingt. Ces quelques pages sont les
souvenirs de ma vie qui sont intimement mêlés à la sienne lors de nos années d’apprentissage. »
« Les années 1960 ont été fabuleuses – une décennie de protestation et de
rébellion. Une génération entière avait le droit de boire et de mourir à la
guerre à dix-huit ans mais n’avait pas le droit de voter avant vingt-et-un. La
crise était inévitable. Les conversations devenaient des chansons, les chansons
provoquaient des discussions. On organisait des marches pour les droits
civiques, des marches contre la bombe, des marches contre l’escalade de la
guerre au Vietnam. Mais c’était aussi des marches en réaction à la rigidité
morale des années 1950 ; La Beat Generation avait ouvert une brèche, et
nous, la génération suivante, nous y sommes engouffrés. »
Suze Rotolo a donc grandi
dans une famille italienne aux idéologies communistes pendant les années 1950 pendant
lesquelles la guerre froide était à son apogée sous le Général Heisenhower et
la chasse aux sorcières lancée par McCarthy : le régime du tout noir ou du
tout blanc comme elle l’appelle. Métaphore appropriée quand on sait que les
années 1950 sont aussi marquées par la ségrégation dans les états du sud. C’est
effectivement en 1958 qu’ont commencées les « Freedom Rides » pour demander l’égalité entre blancs et
noirs. Suze était engagée dans ces
marches et ces sit-in, elle distribuait des tracts devant les magasins
Woolworth qui pratiquait la ségrégation dans le sud, elle a assisté au discours
de Martin Luther King en Août 1963 à Washington.
Sa rencontre avec Bob Dylan
avant qu’il ne devienne le Dylan Folk nous donne un aperçu de Greenwich village
et tous les artistes, musiciens et chanteurs qu’elle y a rencontré. Elle nous
parle des précurseurs de la Folk, d’Alan Ginsberg et de Woody Guthrie… Tout ça
m’a rappelé mes cours de L3 avec un prof super sexy tout droit arrivé de Chicago.
Ses cours étaient passionnants, ce n’est pas lui qui m’a transmis ce goût pour
les sixties mais il y a ajouté sa pierre.
En 1962 elle part étudier en
Italie. Sa séparation avec Bob est douloureuse. Ils s’écrivent. Certains
passages de ses lettres deviendront des chansons. Il lui fait part des chansons
qu’il écrit, lui écrit celles où il parle d’elle (Bob Dylan’s blues, Down in the Highway, I’m in the mood for you) Elle rentre en
Décembre 1962 quelques temps avant la sortie de l’album Freewheelin’ Bob Dylan.
L’été 1963 verra la
popularité du chanteur Folk s’accroitre notamment grâce à sa rencontre avec
Joane Baez et au festival de Newport : « Une énergie particulière régna sur ce festival. Les concerts furent
magnifiques et tout le monde sentait que nous étions à la veille de quelque
chose d’important. La folk avait remporté la partie. Des gamins révoltés venus
des quatre coins du pays, qui attendaient de passer à l’action, venaient de se
rencontrer. »
La première moitié des
années soixante c’est aussi l’élection puis l’assassinat de Kennedy et de son
« meurtrier » Lee Harvey Oswald (cf mon billet sur JFK de Jim Garisson) C’est l’époque où « la culture jeune était en pleine éclosion.
Les jeunes étaient furieux contre la société telle qu’elle était. »
La fin de l’année 1963 fut
donc un tournant dans l’histoire des Etats-Unis : « L’année avait été compliquée, pleine de
hauts et de bas, rythmés par des évènements tristes, terribles, des
soulèvements et des changements pour le meilleur et pour le pire. Un parfum d’anticipation
flottait dans l’air. »
Avec ce changement d’atmosphère
sont venus également les changements dans le couple Bobby-Suze. Suze était
étouffée par la personnalité de Bob et ne pouvait pas supporter d’être « la
nana de », unique reconnaissance à laquelle avaient droit les copines ou
femmes de chanteurs à l’époque. Les femmes de manière générale étaient toujours
femme de. Suze retourne donc vivre avec sa sœur mais ne cesse pas pour autant
de fréquenter Bob Dylan et son cercle d’amis à Greenwich village. C’est à cette
époque que sort l’album de Dylan Times
They Are A-Changin’
Suze ne supporte plus ces
gens qui se rapprochent d’elle pour se rapprocher du chanteur : « On dit qu’il est très secret : « Pourquoi
ne se dévoile-t-il pas plus ? » Je n’ai jamais compris ce que cela
signifie.. Les chansons et les poèmes révèlent le cœur même de l’artiste. Bob
Dylan est son œuvre. Quand on analyse les paroles il y a une limite à ne pas
dépasser si l’on ne veut pas anéantir l’art. A quel moment la dissection
commence-t-elle à nuire à la magie des mots ? »
Suze participe au voyage à
Cuba pour braver le décret qui interdit de se rendre sur l’île. Elle passera
par Londres, Paris et Prague avant de se rendre à La Havane pour déjouer les
douanes américaines. 0 son retour son passeport sera invalidé. La suspicion
contre « les rouges » est partout. Parallèlement, les manifestations
contre la guerre du Vietnam se font plus fréquentes, l’air des Beatles gagne les
Etats-Unis.
« Les jeunes filles de
bonne famille n’avaient pas une mèche qui dépassait et tout jeune homme
respectable devait afficher une coupe de cheveux avec la nuque dégagée. Tout le
monde devait être gominé et dans la norme. Les Beatles étaient propres sur eux
mais avec les cheveux longs. Message contradictoire. Un vent de liberté
commençait à souffler. »
Après sa rupture avec Bob
Dylan tout s’accélère, Suze s’inscrit aux cours du soir de la faculté d’Harvard,
elle fait l’expérience des transes sans même prendre de drogue, elle reprend un
appartement avec son amie Janet qu’elle retrouvera en Europe quand elle
repartira en 1967 pour l’Italie, Et puis Suze s’arrête et nous donne sa conclusion
des années 1960. J’avais envie que cela continue après 1967… mais c’est ainsi, « les années 1960 furent une décennie de
remise en question, de curiosité et de refus de la répression politique et
sociale qui régnait dans les années 1950. La nouvelle génération qui ruait dans
les brancards, ainsi que ceux qui observaient et critiquaient, n’était pas
animée par la loi du marché : elle n’avait pas quelque chose à vendre mais
quelque chose à dire. »
J’ai recommencé mon billet
plusieurs fois enlevés des choses puis rajouté…et je ne suis toujours pas
satisfaite. Je n’ai pas l’impression de rendre le plaisir qu’a pu me donner
Suze Rotolo à la lecture de son histoire, de ses anecdotes, de ses sentiments.
Et pourtant c’est un livre fort en émotion et très intéressant d’un point de
vue culturel et civilisationnel.
Je dois dire un grand merci à Joey7lindley parce que c’est elle qui m’a offert ce livre dans le cadre du swap nouvel an organisé par Herisson08. Merci à toutes les deux pour cette très belle découverte.